Les Mathématiques en Pays d’Islam et leurs prolongements à l’Europe

Conférence de Marc Moyon

Samedi 25 janvier 2014| Lu 252 fois | Jason, Anaïs et Lauryne |

Mardi 3 décembre 2013, le Lycée Pierre Bourdan a reçu Marc Moyon, Maître de conférences à l’université de Limoges, docteur en histoire des Mathématiques, dans le but de donner une conférence à propos des mathématiques intitulée « les mathématiques en pays d’Islam et leur prolongement à l’Europe ». Divers thèmes furent présentés aux élèves du lycée. Ainsi, Marc Moyon traita de la question de la langue arabe comme vecteur de transmission des connaissances de l’époque autour de la méditerranée, puis de la question même des sciences arabes du VIIIe au XIe siècle. Enfin, il termina sa conférence par la question de la découverte et de l’appropriation occidentale des sciences arabes.

Le premier point abordé par Marc Moyon fut la question de la langue arabe, langue des pays d’Islam du VIIIe au XIIe siècle. Celle-ci au cours de ces siècles, connue des érudits travaillant sur divers sujets intellectuels (droit, théologie, mathématiques), permit ainsi une transmission importante du savoir au sein de la gigantesque étendue des pays islamiques. Ceci permit un développement important de diverses sciences, techniques et connaissances dans l’espace méditerranéen. Parmi celles-ci, les mathématiques furent la science connaissant le plus grand essor. Dès le VIIIe siècle, la redécouverte par les pays arabes de diverses techniques mathématiques (qui seront réutilisées plus tard dans, cette fois, des théories mathématiques) inaugure une « renaissance intellectuelle » de cette science.

Marc Moyon - Lycée Pierre Bourdan 03/12/13

L’utilisation de l’arabe comme langue de diffusion de la science entraîne d’importants mouvements de savoirs au cours des siècles précités. Cela débouche notamment sur une vague de traductions dans tous les pays islamiques : des textes persans et grecs sont traduits de façon continue, et une importante documentation mathématique apparaît alors dans les pays islamiques. Cela mène à plusieurs redécouvertes de la part des mathématiciens arabes. Le principal vecteur de documentations mathématiques vient ainsi des textes grecs traduits par les mathématiciens arabes : la redécouverte de Pythagore, Euclide, etc. autorise une utilisation plus « théorique » des mathématiques dont découlent, au VIIIe siècle, les premières théories mathématiques complètes.

La science mathématique avant le VIIIe siècle consiste en un assemblage de divers usages ayant pour but premier de résoudre des problèmes de la vie quotidienne. Ces usages ne sont pas unifiés en une théorie pouvant répondre à des problèmes abstraits. Les mathématiques ne sont donc pas encore une science pure, étudiée pour elle-même, tout du moins dans les pays islamiques. Le premier à proposer une définition théorique des mathématiques est al-Khwarizmi, mathématicien originaire de Kharezm. Son principal ouvrage, Kitāb al-mukhtaṣar fī ḥisāb al-jabr wa-l-muqābala (Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison) eut un retentissement gigantesque sur le monde des mathématiques, au point que c’est le titre de ce livre qui donnera le nom algèbre, venant du mot arabe al-jabr, dont la racine signifie « soigner, restaurer ». La méthode de résolution d’équations aujourd’hui qualifiées de « second degré » fut remarquable à cette époque : l’utilisation d’un algorithme (latinisation du nom al-Khwarizmi) décrivant les étapes d’une résolution uniquement par des opérations simples (addition et multiplication). L’arrivée d’al-Khwarizmi constitue alors une « révolution » qui va marquer la science mathématique jusqu’à aujourd’hui encore.

Première page du Kitāb al-mukhtaṣar fī ḥisāb al-jabr wa-l-muqābala

Un exemple des opérations introduites par al-Khwarizmi est présenté ci-dessous. Le mathématicien introduit ainsi les concepts d’al-jabr et d’al-muqabala. Prenons l’exemple de cette équation du second degré :

Il existe dans cette équation, selon la terminologie d’al-Khwarizmi, un terme « malade », qu’il faut « soigner ». Ce terme est le terme - 2x, qui est un nombre négatif, chose impensable à l’époque du mathématicien. Le terme al-jabr est alors utilisé pour caractériser l’opération qui suit :

L’équation est alors « restaurée ». Une seconde opération importante, nommée al-muqabala, intervient alors afin de rassembler les différents termes de cette équation. Ceci nous donne :

Ces opérations, fondamentales aujourd’hui, furent extrêmement importantes à cette époque et eurent un retentissement incroyable dans le monde au cours des siècles suivants.

Marc Moyon - Lycée Pierre Bourdan 03/12/13 {JPEG} La redécouverte des sciences rédigées en arabe commence à partir du XIIe siècle en Europe. La traduction en latin de différents textes arabes traitant des mathématiques crée un regain d’intérêt pour le savoir des peuples orientaux. La conquête de l’Espagne par les Maures, dès 711, crée en même temps un formidable élan de traduction de l’arabe vers le latin, qui s’amplifie considérablement dès le XIIe siècle. Les textes arabes circulent alors dans toute l’Europe et s’étendent même au-delà des frontières conquises par les peuples islamiques. Les découvertes mathématiques commencent à fleurir en Europe à partir des XIIIe/XIVe siècles et prennent un élan considérable à partir de la renaissance.

Toutefois, il ne faudrait pas surestimer les connaissances européennes sur les mathématiques arabes : bien qu’un mouvement de traduction et de diffusion du savoir existe dès le VIIIe siècle en Europe et qu’il s’amplifie par la suite, les Européens restent globalement coupés de la majeure partie du savoir des pays islamiques avant le XIIe siècle. Les « redécouvertes » ne sont donc que de pures coïncidences et, bien souvent, la « source originale » de travail des mathématiciens européens ne fut retrouvée qu’à partir du XXe siècle.

Article également publié par le site de la Société Mathématique de France : http://smf.emath.fr/content/photos-et-retours

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